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ASSE, OL – EXCLU « Pour les Américains, racheter un club est un placement stable »
Ancien directeur de l’ECA (European Club Association) désormais membre du board de LTT Sports, une société indépendante de conseils pour les clubs, Olivier Jarosz connait bien le marché européen. Pour « But ! », il revient sur la politique générale des investisseurs américains en France et la possible arrivée de David Blitzer à l’ASSE.
But ! : Olivier, alors que certains pays comme l'Angleterre et l'Allemagne ont déjà amorcé leur sortie de crise suite au Covid. Comment expliquer que sur 2022 on assiste à une recrudescence d'investissements américains dans le foot français ?
Olivier Jarosz : La raison est finalement assez simple et se regarde du prisme purement économique. La situation économique actuelle nous rappelle celle des années 70 où on assistait généralement à deux ans d'économie de croissance suivies d'une ou deux années de stabilisation. Depuis 2020, on se retrouve avec deux crises : d'abord le Covid puis la guerre en Ukraine. Deux crises qui chamboulent le schéma économique classique. 2022 est une année dite « de sécurisation des fonds ». En bourse, ce n'est pas l'année pour faire des paris risqués. On cherche des placements beaucoup plus stables.
Et les clubs de football sont des investissements stables ?
Pour les investisseurs cherchant à sécuriser leur capital, oui. Le football est tout indiqué pour ça. Les clubs sont considérés au même niveau que des biens publics avec des Etats toujours prêts à les soutenir. On l'a bien vu durant les divers confinements où les gouvernements ont multipliés les aides (prêts garantis par l'Etat, exemption de charges).
Quand on regarde les clubs côtés en bourse, qu'a-t-on pu remarquer durant le Covid ? Ce sont des organisations dont la valeur est restée très stable. Pour des investisseurs, ça joue. Il faut aussi ajouter à cela que, du point de vue d'investisseurs américains, la valeur réelle des clubs en Europe demeure encore largement sous-évaluée par rapport aux franchises qui régissent le sport en Amérique du Nord. Pour les grandes fortunes qui rachètent des clubs, c'est finalement un petit placement et cela donne de vraies perspectives de croissance. Malgré les crises, le football sera toujours là et il y aura toujours des supporters.
On parle quand même de rachat qui peuvent dans certains cas dépasser les 100 M€…
Aujourd'hui, les franchises nord-américaines se vendent à plusieurs milliards. La semaine passée, en NFL (football américain), les Broncos de Denver se sont vendus pour 4,65 milliards de dollars. Finalement, c'est quoi d'acheter un club de foot en France à 20, 30 ou 50 M€ ?
« Blitzer ? Il est à mi-chemin entre l'enthousiaste et le businessman »
Quel est le profil type d'un investisseur américain dans le football européen aujourd'hui ?
Sans s'arrêter sur le passeport, américain ou autre, il n'y a pas de profil-type mais on distingue quatre groupes d'investisseurs dans le football européen. On peut trouver « l'investisseur fan » qui veut se faire plaisir et s'acheter un club pour profiter le week-end – ils sont rares mais ils existent -, « l'enthousiaste » qui aime bien le football et investit pour le contact avec les gens, et deux écoles de businessmen. Ceux qui cherche à faire de l'argent en revendant le club avec une plus-value et ceux qui vont se servir du football pour faire des affaires à côté, pour enrichir le carnet d'adresse et toucher des entreprises locales. Il faut bien avoir conscience de la visibilité qu'offre un club de foot. Il y a quelques années, un journal marseillais avait publié une étude et on s'était rendu compte que Frank McCourt était plus connu en quelques mois que Jean-Claude Gaudin, qui était pourtant le Maire de la ville depuis plus de 20 ans…
Mais comment un dirigeant peut-il savoir qu'il vend au bon projet ?
Comme disaient les Romains, « pecunia non olet » : « l'argent n'a pas d'odeur ». Depuis la crise du Covid, la plupart des clubs sont en vente. Tout le monde est à minima ouvert à l'arrivée de nouveaux investisseurs. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de vendeurs que d'acheteurs. Ce sont ces derniers qui sont rois. L'une des problématiques de ces clubs qui passent de main en main, c'est qu'il n'y a pas de mécanisme au niveau européen qui contrôle le profil des acheteurs. Le football n'étant pas un produit comme un autre, avec des fans à séduire en plus, cela pose de vraies questions sur les ambitions et l'intérêt des investisseurs.
Où pensez-vous que se situe David Blitzer, l'homme d'affaires qui veut racheter les Verts ?
Pour moi, il est entre le « 2 » et le « 3 ». C'est quelqu'un qui a avancé dans l'ombre car il a les moyens. Il est à mi-chemin entre « l'enthousiaste » et le « businessman » qui veut faire de l'argent avec les nombreux clubs de football qu'il rachète. David Blitzer n'est pas quelqu'un qui n'investit que dans le football. On retrouve aussi son nom dans les nouvelles technologies, dans des sociétés « growth », dont les revenus augmentent généralement très vite. En 2022, c'est devenu un secteur à risques et le fait qu'on le voit se lancer dans l'acquisition de clubs de football (Salt Lake City et ADO Den Haag en 2022, NDLR) montre qu'il cherche plus de sécurité dans ses placements. D'ailleurs, David Blitzer investit aussi beaucoup dans les sociétés plus classiques : dans l'énergétique, dans des sociétés qui assurent 2-3% de dividendes… Ce n'est pas beaucoup mais c'est de l'argent de garantie.
Avec David Blitzer, on est clairement dans un modèle de multipropriété avec 9 clubs de sport au moins dont 7 dans le foot (Real Salt Lake, Crystal Palace, Augsbourg, Alcorcon, ADO Den Haag, Waasland-Beveren, Estoril)…
La multipropriété, c'est un phénomène très récent. En 2021, cela impliquait 156 clubs à travers le monde le tout réparti en 60 groupes de MCO (Multi-Clubs Ownership). 75% de ces MCO ne concernent que deux clubs et c'est la conséquence de la croissance du football ces dernières années. L'hypothèse est que les investisseurs ont surfé sur un phénomène d'opportunités. Il n'y a qu'à voir les indicateurs de performance du City Group et de Red Bull qui ne sont pas les mêmes. On peut penser qu'il y a des enjeux politiques du côté de Dubaï pour le City Group ou des enjeux d'image commerciale d'une marque (branding) pour Red Bull. Le niveau de satisfaction n'est pas qu'une question purement sportive.
Certains pensent qu'il suffit d'avoir plusieurs clubs pour faire du business entre ses clubs mais ce n'est pas aussi simple que ça. Dans les faits, il n'y a que très peu de modèles de gestion centralisée et c'est quasiment impossible : on ne peut pas gérer un club à 25%. D'ailleurs, c'est pour ça que la majorité des MCO s'arrêtent à deux clubs car ils se sont rendus compte qu'on n'est pas dans une synergie de 1+1 = 3. Une synergie efficace est très complexe à mettre en place.
Au niveau sportif, il y a aussi un risque par rapport aux règlements de l'UEFA…
En effet, l'UEFA interdit la participation de deux clubs du même actionnaire dans ses compétitions. En Europe, cela n'a aucun intérêt d'avoir deux clubs compétitifs. On risque davantage de se trouver dans une situation où l'un des deux clubs sera bloqué. Le risque pour un propriétaire d'avoir un arbitrage à faire entre le club A et le club B. Qu'on soit supporter du club A ou du club B, on se fiche de savoir ce qu'il adviendra de l'autre club. Et perdre la licence juste pour ça, c'est difficile à entendre…
Mais Red Bull est bien parvenu à contourner le souci avec Salzbourg et Leipzig…
Les gens partent du principe que c'est le même club mais c'est faux… Et tout est fait de manière très simple et légal. Certes, le logo avec le taureau apparaît sur les armoiries mais, en Allemagne, où il y a la règle du « 50+1 » dans la propriété du club, le nom de Red Bull n'apparaît pas dans les termes légaux : c'est le RasenBall. En réalité, ce sont deux entités très différentes. Les clubs du groupe Red Bull se partagent des données de scouting via un système informatique commun à toutes les filiales travers le monde mais à côté de ça ils ne se conseillent pas au jour le jour les uns les autres. Quand New York détecte un joueur de très haut niveau aux USA, il ne va pas appeler directement Leipzig même si c'est le club le plus huppé du fait qu'il évolue dans l'un des cinq grands championnats…
« A Saint-Etienne, la relégation fait baisser le prix »
Pour en revenir à David Blitzer, quel est l'intérêt d'avoir autant de clubs et d'y ajouter l'AS Saint-Etienne ?
Je ne sais pas quels sont ses réelles intentions mais je dirais qu'on est dans un schéma visant à faire du business au travers du football, un peu à la manière de placements boursiers. J'achète 30% d'un club. Cela me coûte 10 M€. Je revends 10 points de pourcentage quelques années plus tard et je récupère ma mise en ayant toujours des parts dans le club… Je pense qu'il est dans cet état d'esprit. Sinon il y a peut-être d'autres intérêts. Peut-être que certaines de ses entreprises hors football auraient un intérêt dans l'industrie à Saint-Etienne ou dans la région. Peut-être aussi que la chute en Ligue 2 et la baisse du prix crée une opportunité à saisir. On sait depuis très longtemps que Bernard Caïazzo et Roland Romeyer voulaient vendre le club. La relégation fait baisser le prix.
Quelle est la différence entre un projet américain qui réussit comme RedBird à Toulouse ou un autre qui échoue comme GACP à Bordeaux par exemple ?
Nommer les bonnes personnes, c'est une première chose. Les Américains font souvent l'erreur de prendre des gens qui leur font confiance avec une vision très américaine du sport. Des gens très compétents dans leur industrie de départ mais qui ne parviennent pas à s'inscrire de suite dans l'écosystème particulier du football. En plus d'être des spécialistes des affaires, il faut aussi gérer le dialogue avec les fans pour ne pas prendre le risque de perdre des sponsors à cause d'un mauvais résultat ou d'une image dégradée. La deuxième chose, c'est d'avoir un plan (une roadmap) et le suivre en se faisant suivre de ses équipes et de ses actionnaires. Il faut tout gérer, avoir une vision à 360°. C'est pour ça que le mieux c'est encore de pouvoir s'appuyer sur des dirigeants qui connaissent la réalité en local.
A Toulouse, ça marche parce que RedBird a misé sur un ticket Damien Comolli – Olivier Jaubert qui ont, chacun dans leur domaine, de l'expérience au niveau L1 et international. On leur a laissé le temps de travailler sans leur mettre une pression excessive malgré la relégation.
Généralement, quand ça parle trop de commercial au début, on sent clairement que c'est purement un projet de business. A Bordeaux, on est parti sur un changement drastique. On a voulu monter en express un modèle de trading. Cela a affaibli le modèle en place alors que la formation était plutôt performante. GACP est arrivé en déséquilibrant les piliers et s'était fixé des objectifs de développement trop agressifs. Dans le football, sur les premières années, il y a beaucoup de pertes. Il faut être en mesure de l'assumer. Il n'y a qu'à voir Franck McCourt qui doit pas être loin des 400 M€ dépensés depuis son arrivée…
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