Lorsque Laurent Hess nous a interpellé sur le thème de cette rubrique, il était persuadé qu’il s’agirait du dernier dribble déroutant de Georges Bereta. Une évidence, sauf pour celui qui doit retranscrire sur le papier tout le désarroi qui nous habite, nous parmi tant d’autres, face à la mort de « Berete », à la souffrance, à l’incompréhension, à l’issue annoncée et repoussée jusqu’à la limite, un coup de sifflet final qu’on a feint de ne pas entendre. Pour que le jeu, synonyme de joies partagées se poursuive au delà du temps réglementaire que la maladie a fixé sans concertation du principal intéressé qui s’est battu pour arracher les prolongations. Personne n’osera avancer que notre Jojo s’est incliné. Ce n’est pas à des Stéphanois qu’on expliquera que des défaites peuvent avoir le goût de la victoire quand on est allé au bout de ce qu’on peut donner et que finalement on a été un peu volé. Bereta, lui, s’est envolé au pays des gauchers contrarié peut-être puisqu’il employait sa main droite, mais si tel était le cas, c’est bien l’une des rares fois où quelqu’un a dû le contrarier. Par contre, lui a donné bien des tourments à ses adversaires, a bouleversé tous les plans des entraîneurs qui croyaient avoir trouvé la formule pour le bloquer.
Tant de choses ont été dites et écrites sur lui que les mots en deviennent communs au sens propre. Nous ne prétendrons pas avoir été l’ami de Georges, certains s’en targueront avec raison, mais tous, tous ceux qui l’ont croisé ont le droit d’affirmer que Bereta était leur ami. Parce qu’il ne pouvait en être autrement avec ce bonhomme si bonhomme, cette vedette qui n’était pas une star. Ses coéquipiers parleront de leur frère, grand par le talent, son professionnalisme, ses conseils. Fermez les yeux et vous verrez les larmes couler de ceux de la bande de 76, comme de ceux des amateurs parmi lesquels il a débuté et terminé sa carrière avec la même humilité.
Bereta! Les premières images qui nous viennent sont celles décrites au quotidien par Gérard Simonian dans les pages à l’encre qui tachait de La Tribune-Le Progrès, celles d’un joueur dont on avait mesuré, dans ces lignes, les grosses cuisses et ce centre de gravité qui l’amarrait à la pelouse. Quand le 1er octobre 1969 on l’a vu bousculer le grand Bayern de Beckenbauer, on le connaissait déjà : le joueur, ses frappes devant lesquelles les poteaux tremblaient autant que les gardiens ou les téméraires massés en populaire derrière le but; l’homme, le gamin du Marais, de Montreynaud dira-t-on plus tard, ses bons mots, le symbole d’une immigration, leçon pour l’avenir.
Jojo et Salif, deux cultures, une amitié
Ce soir du premier grand exploit des Verts, Samardzic, Keita, Hervé Revelli et Bereta nous ont fait aimer le football, Saint-Étienne et le maillot. La meilleure attaque de l’ASSE de tous les temps, une complicité qui est allée bien au delà des limites du terrain entre Jojo et Salif, deux mondes, deux cultures mais une rencontre. Roger Rocher les a peut-être encore plus rapprochés, mais ne remuons pas le couteau dans des plaies jamais refermées, sans clamer que le temps est à l’oubli, parce qu’on ne veut surtout pas oublier tout ce qu’était Bereta. D’autres clichés se bousculent, loin de la pelouse, une soirée devenue nuit dans un petit bistrot de la rue de La Richelandière où nous étions partis à la découverte de La Pologne avec lui, comme professeur, et un de ses amis, polak bien sûr, riait-il. C’était gai, autant que fut dramatique ce retour d’ultime derby à Gerland mais aussi page tournée pour lui. Nous l’avions retrouvé le lendemain de cette agression sans sanction, qui lui avait fait perdre ses illusions et son regard d’éternel gamin devant un ballon. Alors que les gendarmes relevaient des indices sur la voiture à la lunette arrière brisée, il s’inquiétait pour les autres occupants du véhicule, faisant bonne figure devant son propre traumatisme. Solide comme un roc, même fissuré. Brisé mais tenace capitaine, soutenu jusqu’au bout par ses proches dont le courage n’a eu d’égal que le sien. Georges Bereta est allé rejoindre Gérard Simonian qu’il va chambrer et tous ces footballeurs qu’il a fait souffrir ou rire selon son camp. Le sien a été lui du bonheur qu’il racontait, simple, sa famille, les petits enfants, la campagne, les champignons. La vie et ses leçons.
Didier Bigard