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ASSE – EXCLU : « Pour un jeune attaquant, le maillot de l’ASSE pèse 100 kg »

Directeur du centre de formation du SCO Angers depuis 2013, Abdel Bouhazama (ex-coach U19 de l’ASSE) porte un regard attentif sur le changement de cap des Verts depuis l’arrivée de Claude Puel. Discussions avec un formateur passionné et passionnant.

But ! Saint-Etienne : Abdel, quel regard portez-vous, de l'extérieur, sur la politique risquée de lancer massivement les jeunes à l'ASSE ?

Abdel Bouhazama : Est-ce vraiment risqué ? Oui et non. Les prédécesseurs de Claude Puel avaient déjà intégré des jeunes. Ce n'est que quand l'objectif a changé qu'il y a eu une petite réticence à les faire jouer. Ce qui se passe en ce moment, ça me rappelle un peu le début l'époque de Christophe Galtier. On a tendance à l'oublier mais quand il avait pris l'équipe, il n'avait pas eu peur d'intégrer les jeunes. Que ce soit les Manu Rivière, Jo Guilavogui, Faouzi Ghoulam, Kurt Zouma, Kévin Mayi… Christophe Galtier avait été un peu précurseur.

Mais quel est votre ressenti sur ce choix impulsé par Claude Puel ?

En tant que directeur de la formation, je suis content. Il ne faut pas oublier que la formation et l'ASSE, c'est une longue histoire d'amour. Déjà les Verts de 1976 avaient une forte colonne vertébrale formée localement. On en revient à ça. Ce n'est pas la même époque, pas les mêmes profils mais quand je vois ce que fait Claude Puel à Saint-Etienne, je me dis qu'il a beaucoup de mérite. 

« Quand je vois ce que fait Claude Puel à Saint-Etienne, je me dis qu'il a beaucoup de mérite »

La saison dernière a quand même été assez dure…

Oui mais la transition se fait bien. Si on prend l'exercice 2020-21, on voit que le début de saison était magnifique et que par la suite il y a eu un gros passage à vide. Quand on joue avec des jeunes, c'est dur d'être performant sur la durée. Il faut une certaine endurance psychologique. Sur tout un championnat, c'est difficile. Le travail d'accompagnement est important. Le résultat final de la saison (11e) a montré que Claude Puel savait très bien gérer.

Parfois, la balance a quand même paru un peu déséquilibré avec beaucoup de jeunes…

C'est sûr que ne mettre que des jeunes, c'est dangereux. On peut vite les mettre en difficulté. Mais Saint-Etienne a bien su encadrer tout ça avec les Khazri, les Kolodiejczak, les Boudebouz, les Hamouma… On a une politique un peu similaire à Angers SCO. La conjecture fait qu'on sollicite davantage la formation. Peu de clubs ont les moyens du PSG pour recruter Messi, Neymar ou Mbappé et se passer sciemment des produits de leur centre. Aujourd'hui, quand un club fait appel à un jeune, il fait de grosses économies déjà mais il se créé aussi un actif intéressant. Des jeunes qui jouent, c'est de l'expérience qui s'emmagasine pour la suite. Et on en vient à créer des Wesley Fofana qui partent pour 35 M€… Pour moi, c'est vraiment une politique super intéressante pour Saint-Etienne. Surtout quand c'est fait de manière intelligente.

Depuis que vous êtes à Angers, vous avez fait sortir plusieurs pépites offensives (Boufal, Pépé et désormais Cho). Comment expliquez-vous que l'ASSE a autant de mal à faire de même et se concentre surtout sur une production de joueurs défensifs ? Est-ce plus facile de dénicher les bons profils dans le Maine-et-Loire, loin de la concurrence de certains grands centres de formation comme l'OL ?

Déjà, il y a un vrai point de différence entre l'ASSE et Angers SCO. Sans faire injure à mon club, nous n'avons pas les mêmes ambitions à la base. Dans le Maine-et-Loire, nous avons un peu moins de pression sur le fait de devoir jouer les premiers rôles. A Saint-Etienne, on attend de l'ambition dans le recrutement et cela passe souvent par la quête de joueurs offensifs d'expérience. De joueurs qui ont un coût. Ce qu'on attend d'un centre de formation, c'est qu'il alimente régulièrement sur l'aspect défensif. C'est un peu moins dur que devant. A Angers, ce n'est pas non plus facile. On est quand même un club stabilisé en Ligue 1. Mais on a surtout mené un vrai travail de fonds…

C'est-à-dire ?

Il ne faut jamais perdre de vue que la formation, c'est un travail d'équipe. Ce sont des recruteurs qui dénichent, des éducateurs qui accompagnent… Et surtout un entraîneur des pros qui a une sensibilité (ou non) à lancer les jeunes. Souvent en fonction des objectifs qu'on lui fixe. La chance qu'on a eu avec les Nicolas Pépé, avec les Rayan Aït-Nouri – qui était un excentré offensif qu'on a basculé en latéral gauche – ou Mohamed-Ali Cho aujourd'hui, c'est qu'on avait dès le départ une meilleure visibilité à donner à nos jeunes. Ces joueurs ont rapidement su qu'ils auraient leur chance. Peut-être que si, dans 4-5 ans, le club change d'ambition et vise l'Europe, il faudra revoir cette politique. Mais je ne pense pas que ça arrive. Monsieur Saïd Chabane accorde une grande importance aux jeunes. Au SCO, le « projet club » c'est d'avoir un tier de l'effectif issu de la formation. Nous avons la chance d'avoir une vraie passerelle entre la formation et les pros.

Justement Saint-Etienne l'a ce fameux « projet club »…

Oui et cela tient beaucoup à l'entraîneur. Quand on joue sa place en fonction des résultats du week-end, il faut être courageux. En même temps, cela impose aussi une très grosse exigence. Que ce soit Stéphane Moulin ou Gérald Baticle – qui est aujourd'hui le coach numéro 1 au SCO – ce sont des personnalités très exigentes. Pour en parler avec mes collègues stéphanois, je sais que Claude Puel a ce même type d'exigence. Aujourd'hui, on doit amener des jeunes de plus en plus vite en équipe première. On est obligé de les protéger avec des contrats professionnels précoces. Il faut avoir un cap clair et s'y tenir.

« L'exigence entre les deux clubs est la même mais l'attente est beaucoup plus forte à l'ASSE »

Mais, du coup, comment expliquer une meilleure réussite des offensifs au SCO Angers qu'à l'ASSE ?

Sans faire de diagnostic, je peux vous expliquer ce qu'on fait chez nous à Angers. On axe beaucoup nos séances sur du « spécifique attaquant ». Notre méthodologie avec le groupe Pro 2, c'est de finir sur un quart d'heures, après chaque séance, sur un travail offensif. Alors ce n'est pas forcément grand chose mais on est dans la répétition du geste. Est-ce que cette façon de travailler donne confiance aux joueurs ? Je ne sais pas… Ce dont je suis sûr, c'est qu'Angers SCO n'a pas eu les moyens de l'ASSE d'investir dans de gros attaquants. Peut-être aussi qu'on a fait de la place pour nos jeunes beaucoup plus facilement dans ce secteur. Maintenant je n'aurais pas la prétention de dire que notre façon de travailler est la meilleure.

En moins de dix ans, les faits sont là : vous avez quand même sorti Sofiane Boufal, Nicolas Pépé et aujourd'hui Mohamed-Ali Cho …

Saint-Etienne a aussi sorti des attaquants.Les Bafétimbi Gomis, Manu Rivière, Jonathan Bamba, ce n'est pas si vieux. C'est vrai que l'ASSE a mieux vendu les Fofana, les Saliba ou les Zouma que les joueurs dont on parle… Mais ce sont déjà des ventes exceptionnelles. Zouma à 15 M€ en 2013, c'est énorme pour l'époque ! Je ne pense pas qu'il y ait réellement de vérités. C'est aussi beaucoup de réussite dans le recrutement. On est tombé sur des jeunes et des parents qui se sont dit : « Ce sera peut-être plus facile d'avoir de la visibilité à Angers SCO qu'ailleurs ». Aujourd'hui, on le montre avec Mohamed-Ali Cho qui joue régulièrement à 17 ans. Cela fait quasiment deux ans et demi qu'on le prépare. En lui donnant du temps de jeu, Stéphane Moulin l'avait déjà préparé.

Quand on voit les départs précoces d'Allan Saint-Maximin, de Jonathan Bamba, les difficultés de Charles Abi, on se dit qu'il y a quand même un petit problème à ce niveau à l'ASSE…

Il faut bien se rendre compte que porter le maillot de l'ASSE est lourd pour un jeune attaquant. On ne s'en souvient pas forcément mais même pour Bafé Gomis ça avait été très dur. Vous me parlez d'Allan Saint-Maximin, ses débuts à 16-17 ans ont été compliqué. Pareil pour les Kévin Mayi, les Idriss Saadi à qui on prédisait de grosses carrières. Maintenant l'attente qu'il y a à Geoffroy-Guichard sur l'attaquant est forte. C'est presque une « pression psychologique ». On oublie qu'on a à faire à des gamins ! La ferveur, l'exigence sur leurs épaules, c'est parfois la même que sur des joueurs cadres. Le gamin, il rentre sur le terrain inhibé, soumis à une grosse responsabilité (Il souffle) Son maillot, il pèse 100 kg. La différence avec Angers, c'est que Mohamed-Ali Cho a pu arriver petit à petit, tranquillement. L'environnement est plus maîtrisé …

La pression médiatique et populaire est une difficulté en plus à appréhender ?

L'exigence entre les deux clubs est la même mais l'attente est beaucoup plus forte à l'ASSE. Avec Angers SCO, on a refait une partie de notre retard et on voit la différence. Au moment où je suis arrivé, on nous laissait un peu tranquille. Et puis on a commencé à sortir quelques jeunes et des recruteurs de grands clubs se sont déplacés pour voir comment on travaillait. On est en train de rentrer dans la catégorie des clubs français qui forment bien, une petite épingle sur la carte de France. On a les bons côtés mais la problématique qui va avec ce changement de cap. A un moment donné, c'est difficile de rester cacher. A Saint-Etienne, c'est comme ça tout le temps. Il y a le poids de l'histoire, le poids de l'institution… Quand vous êtes un attaquant d'un club de cette renommée, il faut gérer avec cette pression. Charles Abi, je l'ai vu jouer à plusieurs reprises contre nous. Il faut de la patience avec lui. Même sur un talent précoce, le coach doit faire en sorte de rester bien connecté. Psychologiquement, ça reste des gamins. Maintenant je pense que Claude Puel fait un vrai travail de fonds autour des jeunes et les accompagne du mieux qu'il peut.

Vous pensez qu'on est trop dur avec certains, notamment les attaquants formés à l'ASSE ?

Le problème, c'est qu'on a souvent tendance à juger un joueur offensif sur son rendement. Un attaquant qui ne marque pas de but, même s'il travaille pour l'équipe, on considère qu'il n'a pas fait un bon match. C'est terriblement réducteur. Même dans la presse, on le lit : « Le jeune s'est battu mais il a manqué de précision, n'a pas été décisif ». C'est souvent accompagné d'une mauvaise note. Le curseur d'évaluation du joueur offensif est toujours plus élevé que celui du défenseur. On attend de lui qu'il marque des buts et basta. Quand tu prends ces commentaires à longueur de temps, c'est difficile à vivre.

« Quand je vois Camara capitaine de l'ASSE, c'est quand même un message fort »

Sur la génération actuelle dirigée par Claude Puel, vous n'avez pas eu la chance d'en entraîner beaucoup…

Effectivement, je me souviens que les Mahdi Camara ou Mickaël Nadé étaient sur nos tablettes mais ils n'étaient pas encore au club quand je suis parti. En tout cas, cela me permet de saluer l'excellent travail de la cellule de recrutement de l'époque, les Ludovic Paradinas et Rafik Allaf, qui nous avaient trouvé ces joueurs-là.

Vous avez quand même quelques belles surprises ou coups de cœur ?

Quand je vois Camara capitaine de l'ASSE, c'est quand même un message fort qu'on envoie. Même s'il y a des joueurs beaucoup plus expérimentés que lui qui auraient pu prétendre au brassard, il est déjà vu comme un ancien. J'aime aussi le petit Moueffek, actuellement blessé, que je connais bien et qui était sur nos tablettes au SCO Angers. D'une manière générale, il y a beaucoup de qualité. Je ne serais pas surpris que beaucoup soient vendus en fin de saison…

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